Dans le cadre du Plan Directeur d’Urbanisme de 1949, le Secteur sud-est considéré comme une zone résidentielle de choix. Il appartient au domaine dit de la ville verte qui vise à protéger le caractère verdoyant des grandes propriétés en évitant leur découpage. Le règlement de la ville verte favorise les constructions d’ordre discontinu, d’une certaine densité ménageant de faibles emprises au sol. Le couvert végétal est conservé voire protégé. Tout cela implique des constructions à la fois hautes et espacées. Les propriétaires des terrains proches de la Cité Radieuse, liés à la construction mécanique, vont détacher un terrain pour une opération de logement. Les projets d’élargissement de voies et le cadre réglementaire de la ville verte laissent peu de marge de manœuvre à l’auteur.
En définitive ce n’est pas la ville verte qui est au rendez vous mais un immeuble très urbain à l’angle de deux voies. Avec plus de vingt étages, l’immeuble ouvre sa courbe concave plein nord afin d’obtenir le plus grand développé de façade au sud.
Cette orientation s’oppose à celle de la Cité Radieuse liée à son axe héliothermique, très peu adapté aux conditions climatiques de la région (est et ouest en soleil bas). La courbe paraît une manière d’éluder toute déférence envers la «maison du Fada», solution qu’on peut retrouver pour plusieurs immeubles proches du célèbre bâtiment. Néanmoins l’architecte s’est volontairement inspiré des idées de Le Corbusier sur plusieurs points. Les pilotis abritent l’unique entrée en rez-de-chaussée d’où part une batterie d’ascenseurs desservant les appartements par onze coursives intérieures.
Les appartements eux-mêmes sont en duplex traversant, orientés nord-sud : on retrouve là l’organisation caractéristique d’une unité d’habitation.
Par contre certains éléments diffèrent du modèle tel que le sous sol accueillant un certain nombre de places de parkings et un petit centre commercial situé en RDC hors de l ‘emprise de l’immeuble. Dans le pur style international, l’édifice décrit une géométrie élémentaire de segment cylindrique. Les pilotis en revanche donnent une image plus articulée d’un berceau supportant l’édifice. Les douze portiques de béton et leur poutraison, disposés en faisceau, sont largement saillants par rapport au corps de l’immeuble, donnant une impression de force. Cette forme expressive des pilotis se retrouve dans les bandeaux d’allège dont l’ajour horizontal est marqué par un dais de béton saillant formant une division de la trame constructive. Cet élément est caractéristique de l’influence du brutalisme japonais de l’époque. Les escaliers extérieurs, le hall d’entrée, et le centre commercial sont des volumes circulaires qui affirme leur autonomie vis-à-vis de la structure de l’immeuble, mais aussi la virtuosité de l’auteur à composer avec le même motif. On pense naturellement à la bibliothèque de Clamart par l’Atelier de Montrouge en 1965. Enfin l’élément le plus significatif du Brasilia est son escalier de secours. S’il emprunte encore à la Cité Radieuse, il est l’expression d’une plus grande liberté plastique transformant un élément fonctionnel en véritable objet sculptural. Desservant un niveau sur deux, il se développe en double révolution autour de deux noyaux différents. L’alternance de doubles spires entre deux passerelles vers le bâtiment donne lieu à quelques organisations singulières avant de prendre un rythme de colonne sans fin. L’émergence des fûts au-delà des volées, l’absence de couronnement et leurs hauteurs différentes rejoignent l’idée de la tour comme « ascenseur vers le ciel » des premiers modernes.
Le cadre de ville verte n’aura pas pu les développer mais la confrontation urbaine avec la Cité Radieuse reste fructueuse, donnant une nouvelle lecture aux immeubles proches comme Le Trioulet et La Verdière.
Fernand Boukobza était un architecte né le 30 janvier 1926 à Sousse en Tunisie et mort le 4 décembre 2012, à Marseille. Diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts, atelier Castel/Hardy, en 1956, il a été l’élève de Charles Lemaresquier, Emmanuel Pontremoli et Leconte. Il fit ses études à l’école régionale des Beaux-Arts de Marseille en travaillant parallèlement dans les ateliers d’André Devin et André-Jacques Dunoyer de Segonzac. L’enseignement de ce dernier et les visites de l’unité d’habitation de Le Corbusier durant le chantier firent naître chez lui un goût pour le béton que partagera toute une génération. Sensible à la modernité américaine et aux expérimentations plastiques de Richard Neutra et Marcel Breuer, Fernand Boukobza eut l’occasion d’exprimer ses talents à Marseille et dans la région grâce essentiellement à la maîtrise d’ouvrage privée.
Réalisations
– Première œuvre en 1954-1955 à Marseille : maison individuelle du Roucas Blanc
– Maisons jumelles du Parc Talabot en 1964
– Usine de la Compagnie Fruitière (1964-1967)
– La Castellane (1966) avec Pierre Jameux, Pierre Mathoulin et Pierre Meillassoux
– Institut de la Cadenelle (1968-1969)
– Siège de la société IBM (1968) avec J. Nogaro
– Synagogue de Sainte-Marguerite entre 1969 et 1973 (Label « Patrimoine du xxe siècle »)
– Opération de logements HLM du boulevard Sainte Marguerite à Marseille (1986-1988).
– Entre 1970 et 1991, il enseigna le projet à l’école d’architecture de Marseille-Luminy. Il continua sa carrière à son agence dans l’immeuble le Corbusier jusqu’au début des années 2000.