Un document de l’époque, signé Marius Bourdarias, Vice Président du Comité Art & Progrès de Marseille qualifiait cette initiative municipale, de création d’un quartier unique de la prostitution, de remarquable tant elle a selon lui permis d’assainir et de ramener le calme dans les autres coins de la ville ! Il qualifiait ce Quartier d’Amour comme « un centre merveilleux d’éducation morale, un blockhaus puissant de défense prophylactique et, par le milieu moyenâgeux où elle l’a installé, une Attraction touristique unique au Monde. Et de rajouter à la marseillaise que la ville peut se prétendre alors « la plus vertueuse, la plus chaste et la plus pure de France et de l’Univers ».
La rue de la Lanternerie (en rose sur le plan) descendait de la rue Caisserie (encore existante) jusqu’à la rue Bouterie (en rose), avec en son milieu le départ de la rue Saint-Laurent toujours existante mais dont le tracé a été modifié.
Le site geneasud.com a réalisé une étude très précise du quartier. En 1882, on comptait rue Lanternerie 13 maisons de tolérance pour seulement 14 immeubles. Elle arrivait juste après la rue Bouterie qui en comptait 15 ! Le recensement de population de 1881 mentionnait chaque jeune femme travaillant dans une maison close comme « fille soumise »…parce que soumise aux règlements concernant la prostitution. Cette expression commencera à disparaître avec le recensement de 1886. On comptait ainsi 59 prostituées, toutes mentionnées comme « pensionnaires », sauf une, au n°12, Catherine Marouthel, « chef de ménage ». Ce chiffre de 59 doit être rapproché de la longueur de la rue elle-même, à savoir 68 mètres. Une fille tous les deux mètres de trottoir !
Une publicité du Quartier Réservé indiquait qu’il constituait « le plus remarquable des Terrains…de sport. Sa pratique donne la force et la confiance en soi », encore plus improbable cette phrase montrant une vieille prostitué : « La ville de Marseille est pitoyable aux détresses physiques, elle permet à cette vieille grand mère d’exercer encore au milieu de jeunesses concurrentes sont petit commerce d’amour…On a bon coeur au Quartier réservé de Marseille. Quant à cette rue de la Lanternerie, elle avait en 1322 déjà le nom qu’elle portera jusqu’à sa disparition en 1943. C’est que depuis longtemps les marchands de lanterne y avait fixé leurs demeures…bien avant les prostitués ! La rue Lanternerie avait aussi en 1352 le nom de Pierre Jordani. Là demeurait alors Bernard de Favas, l’un des membres d’une riche famille marseillaise qui fit avec succès le commerce des draps. On finit par oublier le nom de Pierre Jordani auquel on substitua celui de Bernard de Favas, et dès lors la rue fut appelée Lanternerie par les uns et Bernard de Favas par les autres. Il en était ainsi en 1396.
Revenons aux origines de la destruction de ce fameux quartier…À la suite de l’invasion allemande de la zone libre (opération Anton), les troupes allemandes occupent Marseille depuis le 12 novembre 1942.
Plusieurs attentats touchent les forces allemandes, dont deux attentats le 3 janvier 1943 tuant des officiers et soldats allemands. Des opérations de représailles sont décidées par l’autorité allemande, et confirmées par la directive secrète de Heinrich Himmler du 18 janvier 1943 imposant :
– l’arrestation des criminels de Marseille et leur déportation vers l’Allemagne, avec « un chiffre rond de 100 000 personnes» ;
– la destruction du « quartier criminel » ;
– la participation de la police française et de la « garde mobile de réserve » à ces opérations.
1 500 immeubles seront détruits et ses fameuses petites ruelles de cet étonnant Quartier d’Amour, déplaçant la prostitution vers le quartier Belsunce puis autour de la Rotonde ou encore de la rue Curiol.