Distillerie marseillaise de la Chartreuse, l’Élixir de Longue Vie, 1921-1932

15 rue Louis Maurel 13006 Marseille
2395
Distillerie marseillaise de la Chartreuse, l’Élixir de Longue Vie, 1921-1932
Arrondissement : 6ème
Site Internet : chartreuse.fr
Selon la tradition, la liqueur de la chartreuse naît en 1605, quand les moines de la Chartreuse de Vauvert à Paris (au sud de l’actuel jardin du Luxembourg), réputés être de bons herboristes, reçoivent du duc d’Estrées un mystérieux manuscrit avec la formule d’un Élixir de Longue Vie. Ce que l’on sait moins c’est qu’une unité de distillation, d’embouteillage et de distribution œuvrera aussi à Marseille dès 1921 près de la Place Castellane pendant 11 années. La ville de Marseille a signé, le 5 octobre 2021, pour le centenaire, le pacte d’amitié qui la lie désormais aux moines chartreux et à leur célèbre liqueur. Les chartreux c’est aussi un quartier du 4e arrondissement de Marseille qui doit son nom à un monastère de l’ordre des Chartreux dont il ne subsiste que l’église des Chartreux. Le nom du quartier vient de l’ordre monastique créé par Saint-Bruno dans le Dauphiné. En 1633 il décide d’implanter un nouveau domaine dans le centre-est Marseillais. C’est ce qu’il appellera plus tard le Grand Domaine des Chartreux.

Grand Domaine des Chartreux à Marseille dont il ne subsiste plus que l’Eglise

A l’origine, les moines de la Chartreuse n’exploitent pas immédiatement la recette trop complexe du duc d’Estrées, mais elle fait cependant l’objet de travaux menés par l’apothicaire de la Grande-Chartreuse, frère Jérôme Maubec. En 1764, le monastère de la Grande-Chartreuse, près de Grenoble, produit l’élixir dans sa pharmacie et commence à en faire commerce. Sa commercialisation se fait par un frère à dos de mulet et reste donc limitée aux proches villes de Grenoble et Chambéry, où il devient populaire. Cet élixir est toujours commercialisé de nos jours, sous le nom d’Élixir Végétal de la Grande Chartreuse. À partir de l’élixir, les chartreux développent rapidement un digestif au goût original. Mais il faut attendre 1840 pour que la chartreuse verte, élaborée à partir de la recette originale, soit commercialisée sous le nom de liqueur de santé. Poursuivis pendant la Révolution française, les moines sont dispersés en 1793. La distillation de la chartreuse s’interrompt alors, mais les chartreux réussissent à conserver la recette secrète : le manuscrit est emporté par un des pères et une copie est conservée par le moine autorisé à garder le monastère ; lors de son incarcération à Bordeaux, ce dernier remet sa copie à un confrère qui finit par la céder à un pharmacien de Grenoble, un certain Liotard. Afin de faire usage de la recette, ce dernier la soumet en 1810 au ministère de l’Intérieur de Napoléon Ier, lequel la lui renvoie avec la mention « refusé » car jugée trop complexe. À la mort de Liotard, les documents reviennent au monastère de la Grande-Chartreuse, que les moines ont réintégré en 1816, et la distillation reprend. La chartreuse jaune, développée comme une version plus douce de la liqueur, est commercialisée pour la première fois en 1840.

En 1860, une distillerie est bâtie à Fourvoirie, sur la commune de Saint-Laurent-du-Pont, afin de produire les chartreuses verte et jaune. Une chartreuse blanche est également proposée pendant un temps (43° de 1860 à 1880, puis 37° de 1886 à 1900).

Intérieur de la Distillerie marseillaise en 1925 (Photo Fernand Detaille, fonds Gérard Detaille)

De nouveau expulsés de France en 1903, les chartreux emportent avec eux la recette de la liqueur et installent leur nouvelle distillerie à Tarragone, en Espagne, où ils se sont implantés. La distillerie de chartreuse est construite dans la partie basse de la ville, sur la Plaça dels Infants, près du port et de la gare. Ils commercialisent leur liqueur sous le même nom, avec une étiquette identique, en ajoutant cependant la mention « liqueur fabriquée à Tarragone par les pères chartreux ». Leur liqueur se fait connaître en France sous le surnom de Tarragone. Les biens français des chartreux sont confisqués par le gouvernement, lequel essaie de remettre en route la distillerie de Fourvoirie. Les liquoristes de la Compagnie Fermière de la Grande-Chartreuse sont chargés d’exploiter le nom « Chartreuse ». Malgré plusieurs tentatives, la recette ne parvient jamais à être imitée et l’entreprise se solde par un désastre financier. Dès 1927, la société de production est en faillite. Ses actions sont rachetées pour un prix dérisoire par des hommes d’affaires de la région de Voiron, lesquels les envoient en cadeau aux moines de Tarragone. Ceci leur permet de récupérer le nom commercial en France en 1929.

Intérieur de la Distillerie marseillaise en 1925 (Photo Fernand Detaille, fonds Gérard Detaille)

Cependant, les chartreux ont réinstallé dès 1921, avec l’accord tacite du gouvernement, une distillerie à Marseille, où ils produisent leur liqueur sous le nom de Tarragone. Le site de production se trouvait au au 15, rue de l’Obélisque, actuelle rue Louis Maurel avec une sortie sur l’actuelle rue du Docteur Fiolle. Dans les premiers temps le site servait pour l’embouteillage de la liqueur arrivant par le Port depuis Tarragone.

En 1922 un plan de création d’une distillerie sera soumis (à découvrir dans l’onglet photos). L’usine de production sera confiée au Frère Eugène Courlet et au Frère Patrice O’Connel et au Frère Paul aux côtés de collaborateurs laïcs Paul Brézun, Henri Durand et Alfred Rpiert, des amis fidèles des Chartreux, chargés de la commercialisation. Une toute petite équipe au démarrage. On y produisit jusqu’à 175 000 litres annuels. Une fois le nom commercial récupéré en France en 1929 (voir ci-dessus), on décida de recentraliser l’activité sur la distillerie de Fourvoirie et de fermer celle de Marseille en 1932. Depuis 2 ans déjà elle ne servait plus que dépôt.

Une des sorties de la Distillerie, rue du Docteur Fiolle

Un glissement de terrain détruit la distillerie de Fourvoirie dans la nuit du 4 au 5 décembre 1935. Les caves n’ont que peu souffert et la liqueur qui vieillissait dans les foudres a pu être récupérée. Malgré la loi d’expulsion contre les moines, le gouvernement français affecte des ingénieurs de l’armée afin de la reconstruire à Voiron, près des caves et de l’entrepôt de distribution précédemment établi en 1860 par les moines, à 25 km du monastère. Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement lève l’ordre d’expulsion, rendant aux frères chartreux leur statut juridique de résidents français. Depuis 1989, date à laquelle la distillation a été arrêtée à Tarragone, la liqueur est exclusivement produite à Voiron. Aujourd’hui, les liqueurs sont produites à Aiguenoire en utilisant un mélange de plantes et d’herbes préparé par deux moines liquoristes du monastère de la Grande-Chartreuse qui préparent le mélange végétal. La recette exacte de la chartreuse demeure secrète et n’est connue que de trois moines qui ne connaissent chacun que deux tiers de la recette finale. De cette manière seuls 2 moines sont nécessaires pour la reconstruire, mais un seul ne suffit pas (un exemple de Secret de Shamir). La recette ne faisant pas l’objet d’un brevet, son secret n’expire pas et permet donc de préserver le monopole de l’ordre cartusien.

Depuis 1970, la société Chartreuse Diffusion se charge du conditionnement, de la publicité et de la vente. La méthode de fabrication reste donc peu connue. Aucun additif artificiel n’entre dans la composition de la chartreuse. Les Hommes de Saint Bruno ont d’abord sélectionné près de 2000 plantes dans le désert de Chartreuse situé non loin de Grenoble avant d’en sélectionner 130. Les 130 plantes qui la composent sont d’abord mises à macérer dans un alcool de raisin puis distillées. Les alcoolats sont additionnées de miel distillé et de sirop de sucre. Les liqueurs vertes et jaunes sont ensuite vieillies longuement en foudres de chêne de Russie ou de Hongrie pour les plus anciens, ou en chêne de l’Allier pour les plus récents. Leur couleur respective est principalement due à la chlorophylle et au safran, qui sont leurs colorants naturels. Principale ressource financière des Chartreux, la distillerie met en bouteille chaque année un million cinq cent mille flacons, tous formats et tous produits confondus, dont environ quatre-vingt mille élixirs2. La chartreuse reste la liqueur traditionnelle de Tarragone et compose la boisson des fêtes patronales de Santa Tecla (nommée la mamadeta) : chartreuse verte, chartreuse jaune et granité. Depuis l’arrêt de sa production, la liqueur est devenue encore plus populaire à Tarragone et fait même l’objet de collections. Les Caves de la Chartreuse (164 mètres de long) à Voiron sont ouvertes au public. La distillerie d’Aiguenoire ne se visite pas. D’autres boissons alcoolisées y sont fabriquées : le génépi, l’eau de noix, des liqueurs de fruits et de la liqueur de gentiane.

La ville de Marseille a signé le 5 octobre 2021, le pacte d’amitié la liant aux moines chartreux. C’est dans le salon d’honneur de la Chambre de Commerce et d’Industrie que les maires des cinq communes, déjà signataires de ce pacte (Saint-Pierre-de-Chartreuse, Saint-Laurent-du-Pont, Tarragone en Espagne, Voiron et Entre-Deux-Guiers) ont pris la parole avant de procéder à la signature. Découvrez dans l’onglet vidéo une passionnante conférence sur le sujet par Patrick Boulanger, Historien, académie de Marseille, Guillaume Ferroni, fondateur de la maison Ferroni et Philip Boyer, ancien directeur du musée de la grande Chartreuse.


SOURCES wikipedia Chartreuse (liqueur) & le-grand-pastis.com & Conférence Musées de Marseille & Panneaux expo CCI
PHOTOS  Extrait vidéo Musées de Marseille & Fernand Detaille
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