Devant l’urbanisation galopante qui fait disparaître aujourd’hui nos parcs et jardins publics, vous serez peut-être étonnés d’apprendre qu’un centre naturiste existait au 59 traverse Parangon à proximité du lycée de Marseilleveyre au Lapin Blanc. Encerclé par des terres maraîchères, il était exactement situé à l’emplacement actuel de la résidence de l’Infante, à côté du château Beau Pin. Le terrain qui mesurait moins d’un hectare disposait même d’une piscine et de deux terrains de volley. Aménagé dès 1947, le terrain était tenu par un couple russe aux personnalités attachantes : Oxent (1907-1992) et Génia Miesseroff (1913-2002). Oxent, alias « Aliocha » comme ses amis le surnommaient, venait du maquis de Barrême où il avait rejoint la résistance en 1943 (voir son livre, « Au maquis de Barrême », Egrégore, réédition 2006) sous son nom de maquisard « Mattei ». Anarchiste non militant, il n’avait pas hésité à fuir la Russie et à quitter sa famille en 1924 à la suite de la révolution russe. Arrivé à Marseille en 1945, il rencontre Génia qui s’occupe, à la demeure Beau Pin, d’enfants juifs rescapés des camps nazis. Dans un premier temps, ils se rendent à Sugiton, en passant par Morgiou, ils y retrouvent nombre de naturistes d’avant-guerre, membres de l’ancienne association « les Naturistes de Provence ». Par la suite, enceinte, Génia se résigne à rester sur le terrain du Lapin-blanc sur les conseils du Dr Joseph Poucel, pionnier du naturisme marseillais.
Au départ, Aliocha n’avait d’autre but que d’y accueillir des amis. Mais c’était sans compter sur le zèle de l’un d’eux qui, sans le prévenir, contacte la seule revue naturiste de l’époque « Vivre d’abord » pour annoncer la création d’un centre naturiste à Marseille et en diffuser les coordonnées.
Cette annonce prit de court le couple et beaucoup de personnes arrivèrent de tous les coins de France. Le sens de l’accueil étant primordial pour un Russe, Aliocha ne refusera personne. Par la force des choses, il se décide à officialiser son camping naturiste auprès des autorités en réanimant une association d’avant-guerre : Les Libres Culturistes de Provence. Une multitude de personnalités d’horizons différents côtoient le club, ce qui confère un cachet particulièrement chaleureux à ce lieu encore à l’écart de la ville. Ce camping est parfaitement accepté dans le quartier et quelques maraîchers se convertissent même au naturisme. Tous les habitants connaissaient le couple et tous les appréciaient. Toutefois en 1951, un petit scandale secoue le quartier, un curieux voit des hommes et des femmes nus joués au volley à l’aide d’un trou dans la palissade dressé autour du domaine et porte plainte. Beaucoup de gens issus du spectacle s’y sentent à l’aise notamment les actrices Josette Day, Maguy Laforé ou Yvette Favier mais aussi le Père Henri Chabrier ou le Père Charles. Le naturisme était pour Aliocha une continuité logique de sa pensée libertaire.
La police débarque, demande des papiers et le propriétaire est convoqué au poste pour s’expliquer. Il n’y aura aucune suite et il sera convenu qu’il vaut mieux ne pas être nu sur une partie du terrain pour être sûr qu’une autre mésaventure de ce genre ne se reproduise.
Inscrit dans la liste des « centres naturistes relais », car sur la trajectoire de ceux qui se rendaient en Corse, le club accueille beaucoup d’étrangers. Ils ont ainsi contribué à faire connaître Marseille à l’Europe entière en lui donnant une image de tolérance et de liberté qu’on aimerait voir perdurer de nos jours. Le club est resté à Marseille jusqu’en 1959 pour s’installer ensuite sur la route d’Aubagne, derrière l’actuel magasin Leroy Merlin, pour déménager de nouveau en 1973 pour Roquefort-la-Bédoule où il fermera définitivement ses portes en 1990. Une histoire finalement pas si lointaine.
Un livre a été réalisé sur le sujet par l’Association Naturiste Phocéenne sur ce passé naturiste marseillais.