L’écrivain Jean Giono dans son roman Noé de 1947 évoquait ainsi sa jeunesse sur la Plaine : « C’est une vaste place encadrée de chaque côté par deux allées d’arbres. Au printemps il y a dessus une foire. Du temps de ma jeunesse, il y avait au centre de cette place un bassin dans lequel évoluait un bateau à rames à forme de petit paquebot et pouvant contenir une dizaine d’enfants. Un feignant costumé en matelot faisait faire pour deux sous trois fois le tour du bassin, lentement, avec de longues pauses. Cela s’appelait le tour du monde. Chaque fois que je descendais à Marseille avec mon père, il me payait ça. Je montais dans la barque et j’étais navré de le quitter, car il restait à terre.
Il restait à terre et il faisait lentement le tour du bassin en même temps que moi, car il était navré de me quitter. Mais, dès que nous arrivions à Marseille, lui et moi il me disait : Viens, Jean, je vais te payer le tour du monde.»
Pour les minots de 2021, partir en voyage dans un monde imaginaire fut long, très long, mais la belle aire de jeux de 660 m² de la nouvelle place Jean-Jaurès déborde enfin de vie depuis le 31 juillet 2021 alors qu’elle fut livrée dès juin de cette même année dans le cadre de la fin du tumultueux grand chantier de rénovation commencé en 2018…une attente qui a suscité beaucoup d’indignation du côté des parents du quartier. La raison de ce retard, des soucis de sécurité et des branches de la structure jugées trop accessibles aux enfants alors qu’elles se trouvaient à deux mètres du sol. Autre souci selon France Bleu « la Ville de Marseille et la Métropole ne parvenaient à s’entendre notamment sur l’entretien de cette zone. La Métropole Aix-Marseille Provence (de droite) et la mairie de Marseille (de gauche) se sont opposées pendant plusieurs semaines sur ce dossier. C’est finalement dans un communiqué commun qu’elles annoncent que les Marseillais peuvent donc enfin accéder aux jeux pour enfants de la plus grande place de la ville dès ce samedi 31 juillet après-midi« .
Au final ces travaux de requalification de la place, estimés à 20 millions d’euros, ont fait face à une forte contestation de certains habitants, excédés par le manque de concertation, la lenteur des travaux ou par la disparition de l’aspect populaire de la Plaine.
Mais à présent que la place revit, son aspect populaire semble être revenu même si certains nostalgiques affirment que même si l’aménagement est plus agréable l’esprit a bel et bien changé. Les enfant qui ont peu connu l’ancienne Plaine, semblent savourer ces structures atypiques, toboggans, balançoires, cabanes en bois et trampolines, réparties en deux zones d’âge, le tout sécurisé par un grand portail. L’agence APS mandataire du projet de réaménagement de la Plaine avait ainsi présenté l’esprit de sa création : « Le projet propose une situation renouvelée du dispositif de mobilité sur la place en lien avec son contexte urbain environnant. Il opte tout d’abord pour l’abandon de la circulation en anneau au profit d’une accessibilité ponctuelle en « pétale », utile à la desserte locale et à ses riverains.
Il adopte également un nouvel axe nord/sud de circulation, pratiquement implanté dans l’alignement de la rue Saint-Savournin.
La nouvelle voie nord/sud est mise en discrétion sous le couvert des arbres, entre le mail ouest des deux alignements de tilleuls existants, appelée « grande Rambla » et un nouvel alignement de féviers (gleditsia triacanthos ‘Skyline’) qui renforce l’épaisseur du mail. Une nouvelle unité de lieu retrouvée pour la place : cette stratégie offre une réactivation du potentiel de mise en scène et d’appropriation de la place dans une configuration apaisée et sécurisée. La figure fermée du cadre arboré de la place est « décadenassée » pour s’ouvrir à ses extrémités nord et sud. Sur les deux grands côtés de la place, est et ouest, les mails structurants des doubles alignements de tilleuls existants sont préservés et complétés. Ainsi, ils donnent la mesure et l’amplitude de la place et rendent compte de son orientation.
Sur les petits côtés de la place, les mails sont supprimés, permettant au nord de révéler la façade patrimoniale de la place et au sud de montrer l’ouverture et la volonté d’un lien avec le Cours Julien, à proximité ».
Retour sur l’Histoire d’Yves Montand
Quant à l’ancien square aujourd’hui disparu, il avait prit le nom d’Yves Montand et arborait son buste. Il était le prétexte a évoquer sa mémoire et son parcours marseillais. Alors en attendant le retour, peut-être de sa statue, le début de sa biographie vient se poser ici. En 1923, il n’a que deux ans lorsque sa famille fuit l’Italie fasciste et émigre vers la France. Les Livi s’installent au sein des quartiers pauvres de Marseille. Le père d’Ivo crée une petite fabrique de balais. Ses deux aînés quittent rapidement l’école pour gagner leur vie : Lydia devient coiffeuse, et son frère Julien serveur de café, et fervent militant communiste. L’enfance d’Ivo est difficile matériellement ainsi que moralement. Il est en effet considéré comme un « immigré rital ». C’est à cette époque qu’il se passionne pour le cinéma et notamment pour les comédies musicales américaines, en particulier celles de son idole Fred Astaire et ses numéros de claquettes. Par décret du 8 janvier 1929, la famille Livi obtient la nationalité française et Ivo devient Yves. En 1932, son père Giovanni se voit contraint de déposer le bilan de la fabrique familiale de balais.
Yves a onze ans et est nettement plus grand que la moyenne des enfants de son âge lorsqu’il falsifie ses papiers pour se faire engager dans une fabrique de pâtes (la loi interdit le travail avant l’âge de quatorze ans). Il sera encore livreur, puis serveur, avant d’être à quatorze ans apprenti dans le salon de coiffure pour dames où travaille sa sœur Lydia, et passe avec succès un CAP de coiffeur. Il travaille par la suite sur les docks de Marseille.
En 1938, à l’âge de dix-sept ans, il décroche une place de « chauffeur de salle » dans un cabaret de music-hall de Marseille. Par la suite, il participe à un spectacle dont la première partie accueille des débutants. Il chante Trenet, C’est la vie, Boum, Chevalier, On est comme on est et se livre à des imitations de Fernandel et de personnages de Walt Disney. L’organisateur le prend sous son aile et lui conseille de se trouver un nom de scène. Yves Livi devient Yves Montant – orthographié alors avec un t – pseudonyme choisi en souvenir de sa mère. En effet, par un mélange d’italien et de français, elle lui disait, afin qu’il monte à leur appartement : « Ivo, monta ». Yves travaille son jeu de scène avec Francis Trottebas – alias Berlingot – et prend des cours de chant avec Marguerite Francelli à partir de l’été 1937.
Le débutant, de temps à autre, décroche quelques engagements ; sur scène, il est accompagné au piano par Mado, la fille de son professeur de chant. Ses galas le conduisent parfois jusqu’à Narbonne et Toulouse et, au début de 1940, son nom attire le public.
Montand ambitionne alors de passer à l’Alcazar de Marseille. Pour cela, il a besoin d’un répertoire original. Hubert Melone, alias Charles Humel, un auteur-compositeur aveugle, lui écrit deux chansons : Y’a du swing partout, qu’il n’enregistrera jamais, et Dans les plaines du Far-West, qui sera son premier vrai succès. Le 21 juin 1939, Yves Montand est sur la scène de l’Alcazar, le public est conquis par son tour de chant qui mêle aux reprises des créations originales. La guerre éclate et remet tout en cause pour celui qui ambitionnait de monter à Paris tenter sa chance. Délaissant sa carrière, Montand se retrouve manœuvre aux Chantiers de Provence. Un emploi qu’il finit par perdre et, ne retrouvant pas de travail. Il décide de chercher des engagements comme chanteur. Il passe dans des cafés, des cabarets modestes, des cinémas où il chante durant l’entracte. Il trouve un emploi de docker et chante encore parfois le dimanche. Berlingot, en janvier 1941, lui permet de reprendre à plein temps la chanson. Yves Montand se produit une seconde fois à l’Alcazar et obtient un triomphe. Il est remarqué par le producteur Émile Audiffred, qui prend en charge sa carrière.
Avec lui le chanteur suit des cours de danse et affine son jeu de scène, et lui présente Reda Caire pour travailler sa façon de chanter. Audiffred le fera chanter à Lyon en première partie de Rina Ketty. À Marseille, il obtient un nouveau succès avec son passage au Théâtre de l’Odéon. Il chante à Aix, Nice, Toulon… Émile Audiffred, monte la revue Un soir de folie dont Yves est la vedette. Envoyé aux chantiers de la jeunesse créés par Vichy, il y reste presque une année durant, puis reprend la scène. En cette période, malgré l’occupation, il gagne assez bien sa vie, mais doit régulièrement prouver que son nom Livi ne dissimule pas en fait celui de Lévy. Risquant enfin d’être envoyé en Allemagne, afin d’éviter le service du travail obligatoire (STO), il décide, en accord avec Émile Audiffred, de partir pour Paris…