Né le 10 octobre 1891 à Marseille, Ferdinand Samuel Lop était le fils cadet de Jules Joseph Lop (1865-1931), employé, et de Benjamine Reine Montel (1871-1956), institutrice, mariés et demeurant au 59, rue de Forbin. Ses deux frères étaient Alfred Myrtil Lop et Georges Nephtali Lop. Connu sous la forme abrégée de Ferdinand Lop ou celle de Samuel Ferdinand-Lop (au lieu de Ferdinand Samuel Lop), il aurait été, selon une légende flatteuse, agrégé d’histoire et camarade de promotion de Georges Bidault, qui fut le premier ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle. Il commença dans la vie comme assistant parlementaire et chroniqueur parlementaire au journal satirique Le Cri du Jour, fondé par Albert Levy en 19265, mais ses excentricités le firent chasser du palais Bourbon. Journaliste, dessinateur de talent, auteur d’ouvrages sérieux sur les possessions coloniales de la France, il devint à partir de 1932, poussé par un tempérament fantaisiste, une figure pittoresque, bientôt légendaire, du quartier Latin, de la Sorbonne à l’Odéon. Reconnaissable à son épaisse tignasse de cheveux roux, ses lunettes, sa petite moustache, son grand chapeau noir à la Léon Blum et son nœud papillon, il avait fait son QG de la Taverne du Panthéon et haranguait les étudiants sur le boulevard Saint-Michel ou rue Soufflot dans les années d’avant et d’après-guerre.
Pendant la IVe République, de 1946 à 1958, ce « licencié ès canulars », éternel candidat malchanceux à la présidence de la République (en même temps qu’à l’Académie française), avait bâti un programme électoral, baptisé « lopéothérapie », qui préconisait :
- l’extinction du paupérisme à partir de dix heures du soir
- la construction d’un pont de 300 m de large pour abriter les clochards
- le prolongement de la rade de Brest jusqu’à Montmartre et l’extension du boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer (dans les deux sens)
- l’installation d’un toboggan place de la Sorbonne pour le délassement des troupes estudiantines
- la nationalisation des maisons closes pour que les filles puissent avoir les avantages de la fonction publique
- le raccourcissement de la grossesse des femmes de neuf à sept mois
- l’aménagement de trottoirs roulants pour faciliter le labeur des péripatéticiennes
- l’octroi d’une pension à la femme du soldat inconnu
- l’installation de Paris à la campagne pour que les habitants profitent de l’air pur
- la suppression du wagon de queue du métro
Il expliquait le caractère vague de son programme par la crainte qu’on ne le lui vole. Il préférait « attendre d’être au gouvernement pour le révéler ». Suivant l’exemple des campagnes présidentielles américaines, il avait adopté un air de campagne (campaign air), en l’occurrence The Stars and Stripes Forever, l’hymne officiel américain, non sans y plaquer la répétition de son patronyme comme paroles : « Lop, Lop, Lop Lop Lop, Loop Lop Lop ! Lop Lop Lop, Lop Lop Lop, Lop Lop Lop Lop ! ».
Le quartier Latin se partageait en deux camps par rapport au candidat :
- les partisans de Lop ou « Lopistes » (« Lopettes » étant un qualificatif employé par leurs ennemis)
- les opposants étaient les « Anti-Lop » (ou « Antilopes »)
- Quant aux tièdes, aux indécis, c’étaient des « Interlopes ».
Les réunions avaient lieu dans une salle baptisée la « salle Lop ». Étudiant à Sciences-Po en 1935, François Mitterrand fréquentait beaucoup Ferdinand Lop, le rencontrant souvent à son Q.G., le café de La Petite Chaise, tout près de l’École. Henri Thieullent se souvient qu’un jour, François Mitterrand lui avait présenté Ferdinand Lop comme « son ministre des Affaires étrangères », lui-même étant « Premier ministre ». Après les premières élections législatives du 21 octobre 1945 qui suivirent la fin de la guerre, on vit Ferdinand Lop remonter le Boul’ Mich en habit, dans une vieille décapotable, saluant la foule de ses électeurs, son haut-de-forme à la main. « Il avait, parait-il, obtenu une voix, la sienne… ». En janvier 1946, l’association générale des étudiants de Rennes (l’AGER) reçut Ferdinand Lop à l’occasion de la relance du défilé du Mardi gras. Il prononça un discours et défila sur un char en leur compagnie. Le 1er avril 1949 eut lieu une fausse remise de la Légion d’honneur à Ferdinand Lop, devant un millier d’étudiants en liesse. On invoqua Winston Churchill et Joseph Staline pour rappeler que « ces grands hommes s’étaient inclinés devant le génie de Ferdinand Lop, devant ce front immense derrière lequel bat un grand cœur ». Ferdinand Lop fut dix-huit fois candidat à l’Académie française, entre 1936 et 1966. La dernière fois, ce fut contre Maurice Druon. Il obtint en tout et pour tout deux voix. Il avait tiré de ses innombrables échecs un livre : Ce que j’aurais dit dans mon discours de réception à l’Académie française si j’avais été élu. Dans son livre Les Juifs, Roger Peyrefitte dit de Ferdinand Lop qu’il « représente l’humour juif au quartier latin ». Aguigui Mouna, cette figure insolite du trottoir parisien qui succéda à Ferdinand Lop, avait un temps fréquenté ce dernier pour finir par s’en éloigner, le trouvant « trop sérieux, petit bourgeois sentencieux et intello-dépendant ».
Il est mort, dans la misère et dans l’oubli des générations qu’il avait fait rire, à l’âge de 83 ans, le 29 octobre 1974, à Saint-Sébastien-de-Morsent dans l’Eure, où il est enterré.