L’article du Monde nous détaille l’histoire de Maurice Brun, il « était un homme d’autrefois, admirateur de Mistral et de Charles Maurras. Fils d’un fabricant de chaux, il avait ouvert sur le tard son restaurant. Il raconte son aventure dans un livre étrange, rare, un monument de bibliophilie caractéristique de l’époque : Groumandugi, souvenirs d’un gourmand provençal, préfacé par Charles Maurras, édité en 1949, mais surtout mis en page, typographié et illustré par le bien oublié Louis Jou, ermite des Baux-de-Provence et ami de Jean Cassou, le résistant. L’ensemble est monumental et précieux : mille exemplaires in folio, sur papier d’Auvergne « à la main », vendus en souscription ; jamais repris, jamais réédité, exhumé pour notre bonheur par Louis Siaud. Savant libraire avignonnais à l’enseigne de Roumanille, et gourmet exigeant de surcroît, il fut l’ami de Louis Jou. L’article se poursuit ainsi « Que contient donc l’éloge du gourmand provençal ? Une critique exhaustive de l’unique menu-type proposé au client, qui devait par ailleurs accepter de passer deux heures à sa table ! A la suite de Maurice Brun, Frédéric, son fils, fut le dépositaire du message paternel. Fermé depuis quelques années, l’établissement vient d’ouvrir à nouveau. Maurice Brun avait voulu, par l’élaboration de ce menu immuable, donner l’essence de la cuisine provençale, telle qu’on la pratiquait de Manosque à Tarascon, des Alpilles au Ventoux. Les drailles de cette transhumance culinaire sont stupéfiantes. Elles expriment le meilleur d’un terroir. La magie tutélaire du thym et du laurier enveloppe les plats mijotés… ».
Un article de 1955 nous raconte le décès de Mr Brun « Dans cette Pentecôte, grise et mouillée, le restaurateur Maurice Brun a été conduit, hier matin, à sa dernière demeure. Au 18, quai de Rive-Neuve, la famille douloureuse, quelques amis, des gens de l’hôtellerie (dont M. Aimé Gardanne), des félibres bien sûr et Cuchet, le peintre des vieux quartiers, M. le curé de Saint-Victor, ont rendu leur dernière visite à Mestre Brun. Le restaurateur le plus pittoresque du Vieux-Port avait trouvé la mort dans un accident de voiture, en Espagne, revenant des corridas de Séville. Chose curieuse, le mort l’a emporté huit ans, après qu’il eut rouvert son établissement. En effet, “Les Mets de Provence” avaient repris leur service, face au ferry-boat et à la mairie, le vendredi 16 mai 1947. Il avait fait imprimer un menu type (durée deux heures, commentait-il) à cette occasion. Ce menu ne changea jamais durant huit ans. C’était le menu de la “maintenance” du manger de Provence. Pour les hors-d’œuvre il servait exclusivement l’huile d’olive gelée des Baux, la tapenado, les Melets au poivre de Martigues, les olives des Baux, le saucisson d’Arles, les tartines de poutargue de Martigues, les pôuprihouns aux pommes d’amour, la timbale de bœuf en daube et le quichét aux anchois. Pour poisson, suivant la pêche, les daurades ou loups ou soles ou rougets uniquement grillés, sans sel et sans condiment, mais avec leurs entrailles.
Pour légumes, les artichauts barigoulo. Pour rôt, selon la saison, les perdreaux, pintadeaux ou poulets de grain à la broche. De la salade, et du fromage qui était de Banon ou toumo de Manosque. Et pour dessert enfin, le sorbet de fruits frais glacé, les calissons de Gréoux, le nougat noir et blanc d’Allauch, les amandes et les fruits. Enfin en vins, il servait exclusivement la Clairette de Die, le Cassis, le Châteauneuf-du-Pape et le vin cuit de Palette. Car Maurice Brun était exclusif dans ses préférences. Chez lui on mangeait et on buvait uniquement ce qu’il avait décidé de vous servir ce jour-là. Chez lui le “Benedicite” était en vers provençaux de J.C. Felibre doù Fougau. Et au dessert il se mettait à l’harmonium et lançait la “Coupo Santo”, avec son habituelle lavallière à pois.
D’ailleurs, son menu-type imprimé, était en fait la partition, paroles et musiques de la “Coupo santo”, avec au dos les mets imprimés. Incontestablement la table de M. Brun était de toutes celles du Vieux-Port celle qui étonnait le plus l’étranger ou le Parisien. Mais à côté de cet étonnement qu’il entretenait, il y avait chez lui une joie délicate de la table, qui faisait de chaque repas une douceur de vivre. Sans phrases et sans discours, Maurice Brun est parti vers la tombe. Il méritait qu’on rappelle simplement que chez lui on “goûtait la Provence ».
Le dernier site officiel du restaurant s’ouvrait sur ces mots « Qu’es pa fenian, qu’es pa grouman. Qu’un tron de Dieou lou cure » (« Qui n’est pas fainéant, qui n’est pas gourmand, que le bon dieu le soigne »). Et poursuivre par « Venir chez Maurice Brun- Des Mets de Provence, c’est un peu comme mettre un cierge à la Bonne Mère ou encourager l’OM au Vélodrome : un incontournable marseillais. Il faut dire que ce restaurant, le plus vieux de la ville, niche depuis 1936 sur les quais du Vieux Port, au deuxième étage d’un ancien couvent de religieuses du 17ème siècle. Vue imprenable sur le ballet des voiliers, les loopings des mouettes et le ciel bleu balayé par le mistral. Même l’assiette prend l’accent de Marseille : de la ronde des entrées provençales aux bons petits plats traditionnels, tous les délices du Midi rayonnent dans ce lieu unique, à la fois historique et magique« .
Et voici l’historique du lieu sur l’ancien site officiel « Déjà tout minot, je venais ici ! » Chez Maurice Brun – Des Mets de Provence, c’est une affaire de famille ! Celui qui parle, c’est Raoul, l’actuel propriétaire. Un vrai chef à la marseillaise, avec une faconde bien de chez nous, à la fois généreuse et savoureuse, à l’image de sa cuisine. Raoul n’a pas oublié d’accrocher religieusement au mur le portrait de Maurice Brun, le fondateur des lieux qu’il connaissait bien, puisqu’ils étaient voisins ! Même que le petit Raoul venait traîner ses culottes courtes côté cuisine, où il a appris le métier en observant le sacré personnage qui avait ouvert ce restaurant. A l’époque, les fenêtres ouvraient sur le Vieux Port, flanqué du pont transbordeur (depuis disparu) et du ferry-boâte (le petit bateau qui traverse le port, toujours là, si l’envie vous prend d’aller faire « une croisière » après !).
En 1936, la solide cuisine familiale attirait déjà le tout-Marseille. Depuis, Raoul a repris les lieux, avec sa complice de toujours, Françoise. L’infatigable duo a perpétué la tradition culinaire et s’est aussi battu pour conserver l’âme du restaurant. Les murs patinés sont tapissés de tableaux régionaux. Les meubles provençaux voisinent la cheminée à l’âtre. Les nappes colorées réveillent la vaisselle chinée. Il y a des tapis au sol, des cuivres qui rutilent sur les murs, des souvenirs d’antan dans les cadres. Il flotte ici une douceur rassurante qui vous enveloppe. Comme dans les maisons de famille. Comme au temps jadis.